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Séminaire – Séance n°6 – R. Tiquet

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A propos de Romain Tiquet

Romain Tiquet est historien et chargé de recherche au CNRS. Actuellement en mobilité au Centre Marc Bloch, ses travaux portent sur l’histoire du travail forcé, de l’enfermement et de la folie en Afrique de l’ouest.

Discutant

Docteur en sociologie (Paris X), Georges Macaire Eyenga a terminé un postdoctorat au WISER de l’université de Witwatersrand en Afrique du Sud. Il est actuellement chargé de cours à l’université de Dschang au Cameroun et travaille sur les politiques de surveillance, d’identification des individus et la gouvernance agile en Afrique.

Retour sur la communication

Cette communication se concentre sur un lieu en particulier : le village de Koutal situé à une dizaine de kilomètres de Kaolack au Sénégal. Le village de Koutal a abrité un camp pénal pour travailleurs forcés pendant la période coloniale pour la construction des routes de la région. Après l’indépendance du pays en 1960, les autorités sénégalaises ont transformé ce camp pénal en un camp d’internement pour lépreux. 

A l’époque coloniale, la création de camps pénaux était censée à la fois isoler les prisonniers les plus dangereux et les utiliser comme main-d’œuvre contrainte pour les chantiers de construction des routes de la colonie. La logique de mise au travail ne prétendait pas réformer ou réintégrer socialement les prisonniers, mais plutôt les utiliser comme des matériaux humains pour la « mise en valeur » coloniale. Après l’indépendance, en 1967, Léopold Sédar Senghor transforme le camp pénal de Koutal en un village d’internement pour lépreux. Cette transformation répond au contexte de lutte et de gestion de la marginalité urbaine par les autorités post-coloniales : les grands centres urbains (en premier lieu Dakar, la capitale) devaient être vidés de tous les « fléaux sociaux » et autres « encombrements humains » afin d’attirer les bailleurs et les touristes. Les lépreux mendiants de Dakar et de Kaolack sont donc raflés et envoyés à Koutal. Bien qu’ils soient traités contre la lèpre, c’est la dimension de l’exclusion et de l’isolement qui prévaut. 

Plusieurs questions transversales seront au cœur de cette contribution. Tout d’abord, l’empreinte historique du lieu sera questionnée. Koutal a été un lieu de labeur et d’effort physique pour les prisonniers pendant la période coloniale et s’est transformé en un lieu de stigmatisation sociale après l’indépendance. Il conviendra alors de souligner la permanence dans le discours et les modèles de gestion des populations jugées « irrécupérables » par les autorités (post-)coloniales.

Par ailleurs l’exemple de Koutal sur le temps long témoigne de la diversité des techniques mises en place par des autorités politiques pour contrôler les corps (post)coloniaux, tantôt utilisés à des fins économiques pour la mise en valeur des colonies, tantôt, réprimés, relégués du fait du stigmate physique de la lèpre.

Par ailleurs, pour ne pas tomber dans le piège d’une simple analyse de la machinerie institutionnelle, il est également nécessaire d’examiner comment tant les travailleurs condamnés que les lépreux ont envisagé, contourné, domestiqué, refusé ou même négocié le cadre de leur enfermement et de leur exclusion. Le corps devient à ce titre un espace de résistance.