À propos de Louise Klein
Louise KLEIN est doctorante en sciences sociales au Centre Maurice-Halbwachs (CMH, CNRS-EHESS-ENS-INRAE) et au Laboratoire d’anthropologie sociale (LAS, CNRS-Collège de France-EHESS). Son travail porte sur les usages et les pratiques du « droit de l’État » au Somaliland colonial et post-colonial.
Discutante
Docteure en science politique (Yaoundé II), Mireille MANGA EDIMO est chercheuse et professeure associée à l’Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC). Ses travaux portent notamment sur le rôle des organisations de la société civile, des diasporas et des internautes dans les processus politiques, ainsi que sur les transformations de la citoyenneté et les politiques publiques dans les pays des Suds.
Retour sur la communication

Cette communication explore l’évolution du pluralisme juridique au Somaliland, du protectorat britannique (1880-1960) à l’époque contemporaine. L’étude met en lumière l’interaction entre droit étatique, droit islamique et droit « coutumier » en s’appuyant sur des archives coloniales, des observations ethnographiques et des entretiens.
1. Le pluralisme juridique au Somaliland : une construction historique
Le Somaliland, ancienne dépendance britannique, a connu une succession de systèmes juridiques. La période coloniale (1880-1960) voit l’introduction du droit britannique inspiré des codes indiens, qui coexiste avec le droit islamique et coutumier. Après l’indépendance (en 1960) s’opère une fusion juridique avec la Somalie italienne pour former un droit hybride. De 1969 à 1991, la dictature de Siyad Barre est marquée par une militarisation du système judiciaire et de nombreuses attaques contre le droit dit « coutumier » et le droit islamique. Enfin, la sécession du Somaliland en 1991 s’accompagne d’un retour aux bases juridiques pré-1969, avec un fort pluralisme.
Contrairement à l’idée d’un héritage colonial rigide, l’État colonial a donc lui-même contribué à structurer ce pluralisme en classant et hiérarchisant les pratiques juridiques.
2. L’imbrication du droit pénal et du droit « coutumier »
Historiquement, le Somaliland oscille entre responsabilité individuelle (droit pénal) et responsabilité collective (droit « coutumier »). Un exemple frappant est le traitement des homicides et des violences. Le système colonial a introduit la peine de mort, mais la diya (compensation collective) a perduré. Aujourd’hui, le droit étatique et le droit coutumier coexistent dans la gestion des conflits. Un accusé peut être condamné pénalement tout en devant verser une compensation à la victime.
Les tribunaux somalilandais délèguent souvent les affaires à une résolution extrajudiciaire basée sur le droit islamique ou celui dit « coutumier », ne les traitant qu’en dernier recours.
3. Contestations et réformes des juridictions pénale et « coutumière »
Depuis la période coloniale, certaines élites demandent la suppression de la diya et un renforcement du droit pénal. Aujourd’hui, cette revendication porte surtout sur la criminalisation du viol, souvent traité par des accords coutumiers.
Parmi les réformes récentes, une directive de 2014 du procureur général interdit les règlements extrajudiciaires pour les cas de viol, mais son application reste limitée.
Diverses tentatives de réforme du droit dit « coutumier » se développent. En particulier, un projet d’harmonisation avec le droit islamique et les droits humains a été initié, mais sans véritable impact sur les pratiques.
Conclusion : Un héritage juridique en mutation
Le droit postcolonial somalilandais n’est ni une simple greffe du droit colonial ni un modèle figé. Il est le produit d’une construction historique, où chaque période a remodelé les relations entre les différents ordres juridiques. Les réformes actuelles, freinées par des intérêts concurrents et un financement international fragmenté, illustrent la difficulté d’uniformiser un système juridique profondément hybride.
Références bibliographiques
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