À propos de Paul-Crescent Beninga
Docteur en science politique (UCAC), Paul-Crescent BENINGA est Directeur exécutif du Centre Centrafricain de Recherche et d’Analyse Géopolitique et président fondateur de l’Institut Centrafricain des Sciences Sociales et de Gestion. Ses travaux portent notamment sur les conflits armés et le monde des médias.
Discutant
Roland MARCHAL est sociologue, chercheur à la Fondation nationale des sciences politiques et basé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI, Sciences Po). Outre ses écrits sur la politiques des puissances sur le continent africain, il est spécialiste des conflits armés et guerres civiles en Afrique subsaharienne, notamment dans leur rapport à la formation des États. Basés sur une forte pratique de terrain, ses travaux portent notamment sur la Corne de l’Afrique, le Tchad, la République centrafricaine et le Sahel.
Retour sur la communication

Cette communication analyse les stratégies de mobilisation et d’opposition autour de l’éventualité d’un troisième mandat du Président Faustin-Archange Touadéra en République centrafricaine (RCA). Après la transition (2013-2016) et l’adoption d’une Constitution limitant à deux le nombre de mandats présidentiels, la question du troisième mandat a émergé dès 2020, notamment avec une révision constitutionnelle approuvée par référendum en 2023.
1. Contexte et enjeux politiques
Le pouvoir justifie la révision constitutionnelle par la nécessité d’adapter les lois aux réalités africaines, un argument déjà utilisé en 1958 pour remplacer les textes français par des législations nationales. Cependant, six décennies plus tard, sa pertinence est questionnée.
La nouvelle Constitution supprime la limitation des mandats, soulevant un débat technique : le compteur est-il remis à zéro ? L’opposition refuse cette interprétation et tente de contrer la réélection de Touadéra.
2. Stratégies de mobilisation et d’opposition
a. Mobilisation du pouvoir : entre néopatrimonialisme et instrumentalisation de l’État
Le soutien à Touadéra repose sur l’usage des ressources étatiques. Les ministres et hauts fonctionnaires organisent des rassemblements en faveur du président, utilisant moyens et véhicules de l’État. Par exemple, le 5 février 2025, trois ministres ont orchestré une mobilisation dans un quartier de Bangui pour appeler à sa candidature, illustrant une mobilisation plus orchestrée que spontanée.
Des actions similaires ont lieu dans des bastions de l’opposition. Ces initiatives s’accompagnent d’intimidations : des citoyens critiques du régime reçoivent des menaces, leurs auteurs affichant un sentiment d’impunité lié à leur proximité avec le pouvoir.
b. Stratégies de l’opposition : entre dialogue et perturbation
L’opposition tente d’abord la voie du dialogue, comme cela s’est vu lors de précédentes crises électorales. Cependant, contrairement au passé, la sous-région (Tchad, Gabon) se désintéresse du dossier centrafricain, et l’initiative de l’Union européenne via le Centre pour le dialogue humanitaire ne bénéficie pas du même poids qu’un arbitrage politique régional.
En parallèle, des foyers d’insécurité émergent en province, perturbant le processus électoral. Le pouvoir attribue ces violences à l’opposition, renforçant ainsi sa propre légitimité.
3. Effets des stratégies en présence
L’opposition peine à structurer une offre politique crédible, renforçant l’image de Touadéra comme homme providentiel. En boycottant le processus électoral, elle se marginalise et laisse le terrain au pouvoir.
Le gouvernement exploite cette faiblesse en adoptant une stratégie de bouc-émissarisation, accusant l’opposition d’être responsable des violences. Désorganisée et sans leadership clair, cette dernière perd du terrain.
Conclusion
Le cas du troisième mandat de Touadéra reflète des dynamiques fréquentes en Afrique francophone : instrumentalisation de l’État, affaiblissement de l’opposition et légitimation du pouvoir par une rhétorique d’ »africanisation » du droit. L’absence de médiation régionale et le manque de stratégie de l’opposition contribuent à renforcer le déséquilibre politique, facilitant la consolidation du pouvoir en place.
Références bibliographiques
- Marchal, R. (2015). Premières leçons d’une «drôle» de transition en République centrafricaine. Politique africaine, (3), 123-146 (en ligne : https://shs.cairn.info/revue-politique-africaine-2015-3-page-123?lang=fr)
- Marchal, R. (2023). Centrafrique: la fabrique d’un autoritarisme. Paris : Les Études du CERI (en ligne : https://sciencespo.hal.science/hal-04277439/)