À propos de Diane Alima Cissé
Diane Alima Cissé est doctorante en science politique à l’Université d’Ottawa. Elle travaille sur les mobilisations sociales et les questions foncières au Sénégal.
Discutante
Marie-Emmanuelle Pommerolle est politiste et maitresse de conférence à Paris 1 Panthéon Sorbonne. Elle travaille sur les processus de politisation, les mouvements sociaux au Cameroun et au Kenya. Elle a récemment publié De la loyauté au Cameroun. Essai sur un ordre politique et ses crises chez Karthala (2024)
Retour sur la communication

Cette communication examine la réponse différenciée des habitants d’une localité située aux abords du lac de Guiers, dans la région de Saint-Louis (nord du Sénégal), face à l’accaparement des terres par une entreprise agro-industrielle étrangère. Alors que les aînés restent passifs, les jeunes hommes adoptent des formes discrètes de contestation, qualifiées d’infrapolitique. L’analyse s’appuie sur la théorie du pouvoir de Dahl et des enquêtes de terrain menées entre 2022 et 2024.
1. Un accaparement progressif et une mobilisation entravée
L’entreprise agro-industrielle s’est installée en 2008 près du lac de Guiers, une ressource en eau stratégique pour l’agriculture. Initialement bénéficiaire de 5 000 hectares attribués par les autorités, elle s’est progressivement appropriée d’autres terres appartenant aux agriculteurs locaux. Malgré la médiatisation de ces pratiques, aucune mobilisation collective visible ne s’est organisée dans la localité.
Cette absence de réaction des aînés s’explique par un enchevêtrement de contraintes, notamment leur dépendance à un système clientéliste dominé par un courtier local proche du pouvoir et de l’entreprise. Ce dernier distribue des aides financières et matérielles aux villageois, créant une relation de dette qui limite toute contestation. De plus, l’entreprise bénéficie d’une protection institutionnelle, comme l’illustre l’arrestation et la judiciarisation d’un agriculteur ayant tenté de défendre ses terres. Ce cas a eu un effet dissuasif sur les autres paysans, renforçant leur passivité.
2. Frustration et contestation discrète des jeunes
Contrairement aux aînés, les jeunes hommes du village, privés d’accès à la terre et contraints d’accepter des emplois précaires dans l’entreprise, expriment un mécontentement croissant. En raison du contrôle économique et politique exercé par l’entreprise et ses alliés, leur contestation ne prend pas la forme d’un affrontement direct mais plutôt de résistances discrètes.
Ces jeunes soutiennent Ousmane Sonko, opposant politique prônant la souveraineté économique et dénonçant l’exploitation des ressources nationales par des entreprises étrangères. Leur engagement reste cependant subtil : certains portent des bracelets du parti PASTEF plutôt que des t-shirts trop visibles, par crainte de représailles professionnelles. D’autres ont tenté de revendiquer de meilleures conditions de travail, mais ont rapidement été muselés par la menace de licenciement.
3. Une opposition fragmentée et sous contrôle
L’entreprise maintient son emprise en combinant des stratégies de contrôle économique, politique et juridique. Le clientélisme assure la loyauté des aînés, la répression judiciaire dissuade toute mobilisation ouverte, et la précarité de l’emploi limite les contestations des jeunes travailleurs.
Ainsi, bien que la résistance existe, elle reste faible et fragmentée, ne remettant pas fondamentalement en cause la présence de l’entreprise. L’étude met en lumière les limites structurelles à l’action collective et le rôle des générations dans la dynamique des contestations locales.
Conclusion
L’accaparement des terres au Sénégal ne suscite pas toujours des mobilisations massives. Cette recherche montre comment un système de domination clientéliste et économique peut empêcher toute opposition ouverte, tout en nourrissant des formes plus discrètes de résistance. L’analyse générationnelle éclaire la manière dont le pouvoir est exercé et contesté dans un contexte d’exploitation foncière en Afrique de l’Ouest.
Références bibliographiques
- Kosec, Katrina, Hosaena Ghebru, Brian Holtemeyer, Valerie Mueller, et Emily Schmidt. 2018. « The Effect of Land Access on Youth Employment and Migration Decisions: Evidence from Rural Ethiopia ». American Journal of Agricultural Economics 100 (3): 931‑54.
- Kumeh, Eric Mensah, et Godfrey Omulo. 2019. « Youth’s access to agricultural land in Sub-Saharan Africa: A missing link in the global land grabbing discourse ». Land Use Policy 89(décembre):104210.