Présentation
Élaborée dans les années 1970 par des chercheuses anglo-saxonnes, la notion de genre est une « façon première de signifier les rapports de pouvoir » qui « structurent la perception et l’organisation concrète et symbolique de toute la vie sociale » (Scott, 1986). Transposée dans le répertoire de l’action publique et les sphères internationales, elle devient un outil descriptif plutôt qu’analytique, vecteur de prescriptions normatives et non de revendications en termes de droits (Oosterveld, 2014). Le terme s’impose sous la forme d’un fuzzword, c’est-à-dire « un euphémisme acceptable qui adouci[t] le discours dur sur les droits et le pouvoir » (Cornwall, 2007) et déradicalise les questions de pouvoir et de reproduction des inégalités (Verschuur, 2009; Delage et al., 2019; Leroy, 2018). En parallèle, les deux dernières décennies ont vu se multiplier, à l’échelle globale, les discours, mobilisations et campagnes contre les féministes, les études de genre, les droits sexuels et reproductifs, les minorités sexuelles et de genre. Ces prises de position, rassemblées sous le vocable d’anti-genre, se revendiquent souvent en contextes subsahariens de l’anti-impérialisme et de la défense de supposées « valeurs africaines » (Corredor, 2019; Bouilly & N’Diaye, 2022).
En s’intéressant à la manière dont les enjeux liés au genre s’incarnent et prennent forme dans les Afriques, il s’agira d’analyser les représentations, discours et pratiques afin de mettre en lumière les stratégies déployées par les populations, figures gouvernementales et organisations internationales face à ces enjeux. Comment le concept de genre est-il traduit, interprété et transposé entre les sphères internationales et les contextes locaux – et avec quelles adaptations, résistances ou réinterprétations ? De quelle(s) manière(s) des situations postcoloniales façonnent, facilitent ou entravent-elles les interventions de promotion ou d’opposition au genre ? Quels effets sur les populations et contextes locaux, et comment les conceptions et normes de genre locales en influencent-elles la mise en œuvre et la réception ? Comment ces interventions interagissent-elles avec, voire influencent ou recomposent-elles les relations de pouvoir à différentes échelles ? Quelles sont les stratégies déployées par les acteurs et actrices locales, nationales et internationales pour composer, (re)modeler, tirer parti de ou marquer leur opposition à ces programmes ?
Analyser les politiques et programmes de promotion ou d’opposition au genre supposera également d’en interroger les catégories et les discours, c’est-à-dire de discuter l’applicabilité de cadres théoriques principalement issus du Nord global à l’étude des dynamiques de genre en contextes africains (Falola & Yacob-Haliso, 2017; Wayack Pambè & Sawadogo, 2017). Il s’agira de réfléchir aux limites de théories et paradigmes centrés sur l’Occident vis-à-vis d’expériences postcoloniales et extra-occidentales (Amadiume, 1997; Oyewumi, 2002), mais aussi de dialoguer avec des travaux sur la décolonisation du savoir et l’importance de promouvoir des concepts générés depuis le continent africain (Ndlovu-Gatsheni, 2018, 2021).
Références
- Amadiume, I. (1997). Re-Inventing Africa: Matriarchy, Religion and Culture. Zed Books.
- Bouilly, E., & N’Diaye, M. (2022). Penser l’anti-genre en Afrique. Politique africaine, 168(4), 5‑24.
- Cornwall, A. (2007). Buzzwords and fuzzwords : Deconstructing development discourse. Development in Practice, 17(4‑5), 471‑484.
- Corredor, E. S. (2019). Unpacking “gender ideology” and the global right’s antigender countermovement. Signs: Journal of Women in Culture and Society, 44(3), 613-638.
- Delage, P., Lieber, M., & Chetcuti-Osorovitz, N. (2019). Lutter contre les violences de genre. Des mouvements féministes à leur institutionnalisation. Cahiers du Genre, 66(1), 5‑16.
- Falola, T., & Yacob-Haliso, O. (2017). Gendering knowledge in Africa and the African diaspora: contesting history and power. Londres : Routledge..
- Leroy, A. (2018). Repolitiser le genre. Alternatives Sud, XXV, 7‑26.
- Ndlovu-Gatsheni, S. J. (2018). Epistemic Freedom in Africa : Deprovincialization and Decolonization. Routledge.
- Ndlovu-Gatsheni, S. J. (2021). Le long tournant décolonial dans les études africaines. Défis de la réécriture de l’Afrique. Politique africaine, 161162(1), 449‑472.
- Oosterveld, V. (2014). Constructive Ambiguity and the Meaning of “Gender” for the International Criminal Court. International Feminist Journal of Politics, 16(4), 563‑580.
- Oyewumi, O. (2002). Conceptualizing Gender : Eurocentric Foundations of Feminist Concepts and the Challenge of African Epistemologies. Jenda: A Journal of Culture and African Women Studies, 2(1).
- Scott, J. W. (1986). Gender : A Useful Category of Historical Analysis. The American Historical Review, 91(5), 1053‑1075.
- Verschuur, C. (2009). Quel genre ? Résistances et mésententes autour du mot « genre » dans le développement. Revue Tiers Monde, 200(4), 785‑803.
- Wayack Pambè, M., & Sawadogo, N. (2017). Dépasser le patriarcat pour mieux définir les féminismes africains ? Travail, genre et sociétés, 38(2), 187‑192.
Séances du séminaire

- Séance 5 – Noor Talas. Divides, ruptures, sutures: Navigating the post-colonial legacy and the contemporary political positions in Mauritania to tackle impunity and foment GBV awareness. 17 janvier 2025.
Publications
Projets

Traduction collective : Viol sur le terrain par Lou Roquet et Claire Lefort-Rieu, en partenariat avec Les Cahiers du Genre