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Séminaire – Séance n°3 – J. Villa

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A propos de Jules Villa

Jules Villa est post-doctorant dans l’unité Anthropologie et écologie de l’émergence des maladies de l’Institut Pasteur de Paris, lauréat d’un financement ANRS-MIE. Après une thèse à Sciences Po Paris sous la direction de Guillaume Lachenal, il rédige actuellement un livre sur l’histoire du Monkeypox (Mpox) en RDC.

Discutant

Simplice Ayangma Bonoho est historien de la santé et professeur adjoint à l’Université de Montreal et du Centre d’études et de recherches internationales. Sa thèse soutenue à l’Université de Genève a reçu le prix Lombard Odier du Forum Suisse de Politique Internationale (FSPI). Il est l’auteur du livre L’OMS en Afrique centrale. Histoire d’un colonialisme sanitaire international (1956-2000) en 2022 aux Éditions Karthala.

Retour sur la communication

Cette communication explore les dynamiques historiques et contemporaines de l’attention portée au mpox en République démocratique du Congo (RDC), en mettant en lumière l’héritage du programme de surveillance mené par l’OMS entre 1981 et 1986. L’analyse repose sur des enquêtes de terrain menées dans la province de la Mongala, épicentre historique de la maladie.

1. L’histoire du mpox et l’intervention de l’OMS en RDC

Le virus, identifié en 1958 sous le nom de monkeypox, a été détecté chez l’humain pour la première fois en RDC en 1970, dans un contexte de surveillance post-éradication de la variole. Dans les années 1980, l’OMS met en place un programme de recherche au Zaïre, motivé autant par des préoccupations scientifiques que par le risque réputationnel de voir l’éradication de la variole contestée. Ce programme, bien qu’il ait contribué à structurer le système de soins en zones rurales, ne relevait pas d’une approche humanitaire mais d’une logique de collecte de données pour la santé mondiale.

La Mongala, en particulier le territoire de Bumba, a joué un rôle central dans cette surveillance. La présence de l’OMS y a été marquée par des campagnes intensives de prélèvements et de suivi des cas, mobilisant des équipes mobiles et les structures de santé locales.

2. Mémoire locale et traces laissées par le programme

Aujourd’hui, les anciens acteurs du programme expriment des sentiments mêlés de fierté et de frustration. Certains, comme Bokumbe Boyofa, autrefois impliqués dans la surveillance du mpox, regrettent le manque de reconnaissance de leur travail et dénoncent l’abandon des infrastructures mises en place. L’héritage du programme se manifeste aussi dans la nostalgie d’une époque où les moyens matériels et humains étaient disponibles pour agir efficacement.

Les anciens patients, comme Lingoy, qui fut une figure emblématique du programme, témoignent d’une mémoire marquée par les visites médicales régulières et la prise en charge spécifique du mpox. Cependant, cette attention s’est estompée après l’arrêt du programme en 1986, laissant place à un sentiment d’abandon face aux défis sanitaires persistants.

3. Les contradictions des discours de santé publique

Les perceptions locales du mpox sont influencées par des messages de santé publique qui évoluent avec le temps. La maladie est associée à la consommation de viande de singe, bien que cette pratique ait fortement diminué. Cette contradiction alimente le scepticisme des populations face aux explications scientifiques.

La déclaration du mpox comme urgence de santé publique en 2024 a été accueillie avec amertume : pourquoi faut-il attendre que la maladie touche les centres urbains pour redevenir une priorité ? Cette discontinuité de l’attention illustre les inégalités de santé mondiale et la dépendance des crises sanitaires aux agendas internationaux.

Conclusion

L’histoire du mpox en RDC révèle l’alternance entre moments d’attention intense et périodes d’oubli. Loin d’être une simple continuité scientifique, la prise en charge du mpox est marquée par des décisions politiques et stratégiques qui reflètent les hiérarchies de la santé mondiale. Une analyse centrée sur les expériences locales permet de mieux comprendre ces dynamiques et de questionner les priorités en matière de santé publique.

Références bibliographiques

  • Lachenal, G., & Mbodj-Pouye, A. (2014). Restes du développement et traces de la modernité en Afrique. Politique africaine, 135(3), 5-21.
  • Geissler, P. W., Lachenal, G., Manton, J., & Tousignant, N. (2016). Traces of the Future: an archaeology of medical science in twenty-first-century Africa. Bristol: Intellect.